3.3. Les caractéristiques mathématiques du jeu du Chiffroscope

Ecriture dans le tableau, écriture hors du tableau

Il faut clairement distinguer ce qui relève des écritures d’un nombre dans un tableau de numération de celles réalisées en dehors du tableau de numération. 

Dans un tableau de numération, chaque valeur placée dans une colonne correspond explicitement à une unité de numération. Lorsqu’on extrait le nombre pour l’écrire hors du tableau de numération, il n’y a de la place que pour un seul chiffre de façon à ce qu’il soit explicitement affecté à une unité de numération.  Ce qui était possible dans le tableau de numération ne l’est plus en dehors. Par exemple, dans le tableau de numération, on peut indiquer 23 dans la colonne des unités de mille et cela signifie sans ambiguïté 23 unités de mille. Mais en dehors du tableau, pour signifier les 23 unités de mille, il faut écrire obligatoirement 23 000. C’est-à-dire positionner le 2 immédiatement à gauche du 3 pour signifier les dizaines de mille et des zéros pour les centaines, dizaines et unités.

Dans  l’image ci-dessous, le tirage 23 unités de mille, 50 centaines et encore 11 centaines, puis 45 unités et 8 unités désigne sans ambiguïté le nombre égal à 23 unités de mille, 61 centaines et 53 unités. Les cartes dans le tableau mettent clairement en correspondance le nombre (50 + 11 = 61) avec l’unité de numération centaine et le nombre (45 + 8 = 53) avec les unités. Cependant, si l’on extrait la suite de chiffres 23 61 0 53 en les juxtaposant hors du tableau de numération pour écrire le nombre correspondant, il n’est plus possible de savoir quel chiffre correspond à quelle unité de numération. L’écriture 2361053 ne correspond pas au nombre égal à 23 unités de mille, 61 centaines et 53 unités. 

Figure 3- situation cartes N5 et U3. Plusieurs cartes de nombres à 2 chiffres dans une même colonne, avec conversion. Des colonnes non nommées (dizaines et dizaines de mille) à prendre en compte pour écrire le nombre : des zéros ? ou le résultat des conversions ?

Pour pouvoir écrire le nombre en dehors du tableau, il faut respecter les principes de l’écriture décimale de position et donc utiliser des zéros et faire des conversions. Ces principes sont au cœur des stratégies gagnantes du jeu du Chiffroscope.

Caractéristiques mathématiques du jeu

  1. Tableau flottant. Le tableau de numération est à construire pour obtenir le nombre de colonnes nécessaires au dépôt des cartes et à l’écriture du nombre : cela permet de faire apparaître le tableau de numération comme un outil au service de l’élève et pas comme un nouvel objet à apprendre. 
    • Il peut avoir trop de colonnes ou pas assez, à gauche ou à droite, c’est à l’élève de sélectionner les colonnes utiles et d’en ajouter si nécessaire ;
    • Les unités simples ne sont pas toujours placées dans la dernière colonne à droite pour habituer l’élève à ne pas être gêné par la présence de colonnes inutiles à gauche et à droite et lui permettre d’envisager qu’elles seront nécessaires pour d’autres nombres ;
    • Un tableau sans colonnes pré-étiquetées par les unités de numération : le remplissage par l’élève des en-têtes de colonne avec les unités de numération permet de faire apprendre l’ordre des unités de numération, donc de travailler le principe de position.

  2. Les zéros des unités de numération à droite. Des tirages de cartes peuvent conduire à l’absence de valeur pour les unités de numération à droite, que ces unités de numération correspondent à des colonnes situées sur le tableau ou bien en dehors du plateau, et qu’il ne faut pas oublier de prendre en compte pour écrire le nombre : cela permet d’apprendre le rôle des zéros à droite dans l’écriture du nombre, et donc de travailler le principe de position.

  3. Les zéros des unités de numération intercalaires. Des tirages de cartes peuvent conduire à l’absence de valeurs relatives à certaines unités de numération entre des unités de numération utilisées (“des trous” dans l’écriture du nombre) :  cela permet d’apprendre le rôle des zéros intercalaires dans l’écriture du nombre et  donc de travailler le principe de position.

  4. Plusieurs nombres posés dans une même colonne. Le traitement par addition des nombres permet d’obtenir la valeur totale pour cette unité de numération et conduit, si nécessaire, à la conversion vers l’unité de numération immédiatement supérieure (conversion vers la gauche) et donc le travail du principe décimal.

  5. Des nombres à 2 chiffres dans une même colonne. Cela nécessite la conversion vers l’unité de numération immédiatement supérieure et donc le travail du principe décimal.

Présentation des différentes caractéristiques mathématiques du jeu à partir de l’exemple ci-dessous :

Caractéristique 1. Le tableau flottant, un tableau de numération non figé 

Le tableau de numération ne constitue pas un but d’apprentissage en soi. Il doit rester un outil pour aider les élèves à écrire les nombres et à réaliser des conversions. Il n’est pas nécessaire de le figer, en le présentant toujours de la même manière, comme on le voit couramment dans les manuels et pratiques de beaucoup d’enseignants. Ces configurations figées et stéréotypées, avec les unités simples toujours dans la dernière colonne à droite pour les entiers et un tableau fermé et limité aux strictes unités de numération nécessaires, laissent penser aux élèves que ce tableau ne peut pas être différent ni adapté au problème en cours. 

En proposant un tableau vierge et à construire, c’est-à-dire en amenant l’élève à déterminer par lui-même les colonnes nécessaires, il peut exercer son choix et du coup prendre conscience des contraintes mathématiques incontournables du fonctionnement de ce tableau. Lorsque l’enseignant donne systématiquement le tableau tout prêt, il prend en charge ces choix mathématiques et empêche l’élève d’y accéder.

Au cours d’une partie, rien n’empêche de travailler avec un tableau dont l’élève n’utilise pas toutes les colonnes. Il peut être nécessaire d’agrandir le tableau à gauche comme à droite pour tenir compte de nouvelles unités de numération nécessaires à l’écriture du nombre, qu’elles fassent l’objet d’un tirage de cartes ou pas. 

Photo d’illustration avec les grands nombres lorsque qu’il faut ajouter des colonnes à gauche. A venir

Comme le tableau ne comporte aucun nom d’unités de numération écrit par avance, ce sont les élèves qui doivent déterminent où placer les cartes Unité de numération. Du coup, les unités simples peuvent changer d’emplacement sur le tableau d’une partie de jeu à l’autre. Les unités simples n’ont pas vocation à toujours figurer dans la dernière colonne de droite. D’ailleurs avec les nombres décimaux, ce n’est plus le cas. Au cours d’un partie, la première unité de numération tirée est rarement celle des unités simples. Cela invite les élèves à choisir librement la position de la première unité de numération tirée. C’est au 2e tirage d’unité de numération que les élèves doivent utiliser leurs connaissances sur l’ordre des unités de numération pour déterminer son emplacement. Ils doivent éventuellement rajouter des colonnes à gauche ou à droite. 

Par exemple, si au premier tirage les élèves tirent les unités de mille, puis au second tirage les dizaines, ils doivent alors décider d’utiliser la deuxième colonne à droite de celle utilisée pour les unités de mille. S’ils avaient posé la première carte tout à droite, ils doivent aussi décider de prolonger leur tableau en ajoutant deux colonnes à droite.

En faisant ces choix de positionnement des unités de numération, les élèves utilisent activement leurs connaissances sur l’ordre des unités de numération pour résoudre un problème. C’est tout à fait différent que de savoir réciter la comptine des unités de numération. De plus, les erreurs sont visibles pour l’enseignant qui peut alors en discuter avec eux, intervenir et rappeler le principe et son usage.

Caractéristiques 2 et 3. Exemple du rôle et du fonctionnement des zéros 

Lors des tirages successifs d’unités de numération, les cartes ne désignent pas nécessairement des unités de numérations adjacentes, comme dans l’exemple ci-dessus avec des dizaines et des unités de mille. En particulier, il peut y avoir une absence de tirage pour les unités simples. 

Dans ce cas, pour trouver le nombre mystère et l’écrire en dehors du tableau, les élèves doivent prendre en compte les unités de numération absentes, dans l’exemple il s’agit des centaines et des unités et inscrire un zéro dans l’écriture du nombre à l’endroit correspondant : un zéro pour le chiffre des unités et un zéro pour le chiffre des centaines. 

Nous avons remarqué (Soury-Lavergne et al., 2020) que les élèves complétaient plus facilement par des zéros lorsque les unités de numération absentes étaient “à droite” que lorsqu’elles étaient intercalées entre des unités de numération. Par exemple les élèves trouvent plus facilement que 56 centaines donnent le nombre 5 600 que 56 centaines et 3 unités donnent 5 603. Cela indique que les stratégies mobilisées dans les deux cas ne sont peut  être pas identiques (voir partie 3.2 sur les stratégies des élèves).

Caractéristiques 4 et 5. Exemples de plusieurs cartes dans une même colonne, ou de nombres à 2 chiffres dans une même colonne 

Les tirages peuvent conduire à déposer plusieurs cartes dans une même unité de numération. Il suffit que la sélection de cartes unités de numération à disposition des joueurs contienne plusieurs fois la même unité de numération (dans l’exemple ci-dessous au moins deux fois la carte dizaines). Ces situations peuvent être déstabilisantes pour les élèves (et les enseignants !). Elles ont l’intérêt d’amener les joueurs à gérer ensemble le contenu de chaque unité de numération et à travailler le principe décimal de notre système de numération. Pour obtenir une écriture qui respecte les conventions de notre système de numération, il est nécessaire de pratiquer des conversions, et donc de mettre en œuvre le principe décimal. Il faut effectuer des conversions, par exemple pour transformer 21 unités de mille en 20 unités de mille + 1 unité de mille, c’est-à-dire 2 dizaines de mille et 1 unité de mille.

Dans l’écriture d’un nombre, en l’absence d’indication sur les unités numération, il n’y a qu’un seul chiffre possible par unité de numération. Cette règle implicite liée à l’écriture des nombres ne devrait pas être appliquée également de manière automatique lors de l’usage du tableau de numération (Perrin-Glorian 2014). En effet, en permettant d’écrire des nombres à deux chiffres ou plus dans les colonnes du tableau et en faisant apparaître la nécessité de convertir pour écrire le nombre hors du tableau, on amène les élèves à travailler le principe décimal. Ils peuvent alors comprendre le lien entre écriture chiffrée du nombre et valeur représentée. 

Dans le tirage ci-contre, pour passer de 21 unités de mille, 5 centaines de mille et 7 dizaines au nombre 71 070, il faut faire des calculs locaux et plusieurs conversions. 

Tout d’abord au niveau des dizaines, il faut considérer que 4 dizaines et 3 dizaines font 7 dizaines : 4 d + 3 d = 7 d

Pour les unités de mille, il faut décomposer 21um en 20um et 1um puis convertir les 20um en 2 dizaines de mille. 

21 um = 20 um + 1 um et 20 um = 2 dm   donc 21 um = 2 dm + 1 um

Enfin, comme il y a déjà 5 dizaines de mille, avec les 2 dizaines de mille issues de la conversion, il y a en tout 7 dizaines de mille. 

Le nombre s’écrit donc 71 070 hors du tableau. La position de chaque chiffre désigne sans ambiguïté une seule unité de numération. Dans l’écriture 71 070 résultant des conversions, les élèves peuvent plus facilement repérer le fait qu’il y a 1 unité de mille mais aussi 21 unités de mille si nécessaire, ou encore 71 unités de mille etc…

Toute une variété de configurations apparaissent au cours des parties. Par exemple : 

Plusieurs cartes de nombres à 1 chiffre dans une même colonne, mais le résultat s’obtient sans conversion (tirage obtenu à partir des sélections de cartes nombre N1 et d’unité de numération UN1).

Plusieurs cartes de nombres à 1 chiffre dans une même colonne, avec une conversion nécessaire de 10 unités en une dizaine pour obtenir le résultat (tirage obtenu à partir des sélections de cartes nombre N1 et d’unité de numération UN1). 

Plusieurs cartes de nombres à 2 chiffres sont dans une même colonne et le résultat s’obtient après plusieurs conversions. Des colonnes non étiquetées (dizaines et dizaines de mille) sont à prendre en compte pour écrire le nombre. Les chiffres correspondant résultent d’un conversion (tirage obtenu à partir des sélections de cartes nombre N3 et d’unité de numération UN2).